Transmeta était l’une des entreprises les plus secrètes de la Silicon Valley…enfin jusqu’à maintenant puisqu’elle vient enfin de dévoiler les spécifications de son processeur Crusoe. Les raisons pour lesquelles les spécialistes de l’industrie surveillaient de très près cette société reposent sur le fait que Transmeta emploie le génie finlandais Linus Torvalds, concepteur du système d’exploitation Linux, et aussi parce qu’elle a été financée en grande partie par Paul Allen, le co-fondateur de Microsoft. Le secret de Crusoe a été jalousement gardé pendant 5 ans, le temps que la technologie soit développée. Une stratégie qui a du sens étant donné que le monde des technologies de l’information, c’est justement l’information qui a une valeur significative. Ces dernières semaines, les milliers journalistes qui désiraient en savoir plus sur Transmeta et leur processeur Crusoe devaient remplir les traditionnels formulaires stipulant que les informations qui leur seraient divulguées resteraient sous embargo jusqu’au 19 janvier 2000….date à laquelle la présentation du produit a eu lieu.
Pour bien comprendre ce qu’est le processeur Crusoe, une petite récapitulation historique s’impose. En 1978, Intel lançait le processeur 8086, le premier d’une famille que l’on désignera par la suite par le nom générique x86 (80186, 80286, 80386, 80486, Pentium, etc.). Cette famille de processeurs, basée sur l’architecture CISC (Complex Instruction Set Computer) peut traiter des instructions complexes, qui sont directement câblées sur leurs circuits électroniques, c’est-à-dire que certaines instructions difficiles à créer à partir des instructions de base sont directement imprimées sur le silicium de la puce afin de gagner en rapidité d’exécution sur ces commandes. L’inconvénient de ce type d’architecture provient justement du fait que des fonctions supplémentaires sont imprimées sur le silicium, d’où un coût élevé. D’autre part, les instructions sont de longueurs variables et peuvent parfois prendre plus d’un cycle d’horloge ce qui les rend lentes à l’exécution étant donné qu’un processeur basé sur l’architecture CISC ne peut traiter qu’une instruction à la fois. Bien entendu, tous les logiciels que nous utilisons sur un PC depuis l’apparition de ces processeurs (Windows, Office, etc.) utilisent couramment ces instructions, histoire de préserver une forme de compatibilité d’une génération à une autre. D’autres processeurs comme ceux d’AMD et Cyrix (rachetée par VIA) sont entièrement compatibles avec les processeurs x86 d’Intel.
Ces dernières années, les fabricants de processeurs ont commencé à rencontrer le problème suivant: leurs processeurs sont de plus en plus complexes et nécessitent donc des équipes de recherche de plus en plus importantes (de 200 à 1000 personnes doivent travailler sur le même projet). De plus, la place pour l’innovation est limitée par l’éternelle compatibilité x86 qu’ils ne peuvent sacrifier. C’est pour cette raison que peu de nouveaux joueurs entrent dans ce marché, un nouveau processeur radicalement différent impliquerait de nouveaux systèmes d’exploitation et de nouvelles applications. Pour solutionner ce problème, les ingénieurs de Transmeta ont décidé de penser autrement. Plutôt que de concevoir un nouveau processeur basé sur l’architecture CISC et dont les instructions complexes seraient imprimées sur le silicium de la puce, ils ont décidé de reléguer cette tâche à un logiciel, réduisant ainsi le nombre de transistors requis et par conséquent le coût de la puce, sans oublier ses besoins énergétiques. En »enrobant » le processeur d’un logiciel, les ingénieurs n’auront plus à ce soucier de la compatibilité x86 lorsqu’ils développeront une nouvelle génération de processeurs, ils n’auront qu’à mettre à jour leur logiciel! Techniquement parlant, la famille de processeurs Crusoe est basée sur l’architecture 128 bit VLIW (Very Long Instruction Words) et sur un logiciel capable d’effectuer ce que Transmeta appelle du »Code Morphing ». Ce logiciel traduit dynamiquement les programmes développés pour les processeurs x86 en instructions que peu comprendre et analyser l’engin VLIW. Même si Transmeta affirme que le processus de traduction sera transparent à l’utilisateur, le doute subsiste chez les spécialistes. Fait intéressant, l’engin VLIW serait capable d’apprendre le fonctionnement d’un programme pour ainsi optimiser son traitement, grâce à une technique connue sous le nom de »Software Optimized Execution ». Aussi, une fois une portion de code traduit, elle pourra être directement réutilisée…tant que l’ordinateur sera sous tension et que le programme sera exécuté cependant. Histoire de simplifier ces technicalités, Transmeta explique que 25% du travail sera effectué par l’engin VLIW et 75% par le logiciel de »Code Morphing ».
Au lancement, Transmeta a proposé deux gammes de produits, le TM5400 et le TM3120, qui s’adresseront aux ordinateurs portables et autres technologies mobiles. Fait important, les processeurs Crusoe seront fabriqués dans les usines d’IBM et ne consommeront qu’un Watt d’électricité. Le TM5400 ciblera plus particulièrement les ordinateurs portables ultra-légers dotés du système d’exploitation Windows. Les premiers modèles seront cadencés entre 500 et 700 MHz, utiliseront un procédé de gravure à 0.18 microns, comprendront 128 Ko de mémoire cache de niveau 1 et 256 Ko de mémoire cache de niveau 2 (intégrée à la puce), supporteront la mémoire DDR-SDRAM (100 à 166 MHz) et SDR SDRAM (66 à 133 MHz) et se vendront à l’unité entre 119$ et 329$ (US), ce qui implique qu’ils se retrouveront dans des ordinateurs portables coûtant entre 1200$ et 2500$ (US). La production de ces processeurs débutera au milieu de l’an 2000, les ordinateurs portables qui en seront équipés auront une autonomie maximale de 8 heures. Le TM3120 quant à lui ciblera spécifiquement les applications mobiles (organiseurs personnels, mini-ordinateurs, »Web Pads ») dotés d’une version légère du système d’exploitation Linux. Les premiers modèles seront cadencés entre 333 et 400 MHz, utiliseront un procédé de gravure à 0.22 microns, comprendront 96 Ko de mémoire cache de niveau 1, supporteront la mémoire SDR SDRAM (66 à 133 MHz) et se vendront à l’unité entre 65$ et 99$ (US), ce qui implique qu’ils se retrouveront dans des applications mobiles coûtant entre 500$ et 1000$ (US). La production de ces processeurs débute dès maintenant, les applications qui en seront équipés auront une autonomie maximale d’une journée complète.
Les processeurs de Transmeta sont promis à un bel avenir s’ils réussissent à percer le marché que les processeurs d’Intel ne réussissent pas encore à atteindre et là où ceux de Cyrix ont échoué. Puisque IBM s’occupera de la production de leurs puces, ils pourront dormir en paix étant donné que le principal problème auquel font fasse les nouveaux fabricants de processeur se situe justement au niveau de la capacité à répondre à la demande. Transmeta a réellement mis le doigt sur le point faible des processeurs mobiles d’Intel: ils sont beaucoup trop gourmands en calcul, consomment excessivement les batteries et dégagent beaucoup trop de chaleur. Les processeurs portables d’Intel (Celeron et Pentium III) consomment un peu plus de 10 Watts lorsque les systèmes sont en fonction et un peu plus de 5 Watts lorsqu’ils sont mis en veille. Doug Laird, le vice-président au développement chez Transmeta, a effectué une démonstration présentant bien le problème auquel fait fasse Intel. Sur un ordinateur portable équipé du processeur mobile Pentium III, il a fait jouer un film DVD. La température à la surface du processeur a atteint un maximum de 105,5 degrés Celcius. Sur un ordinateur portable équipé du processeur Crusoe TM5400, la température n’a pas dépassé les 48 degrés Celcius. La technologie »LongRun » lui permet d’économiser de l’énergie d’une manière fort simple: le processeur est en mesure d’ajuster sa fréquence et son voltage en temps réel. Par exemple, le processeur TM5400 cadencé à 700 MHz est capable d’abaisser sa fréquence aussi bas qu’à 200 MHz et de passer ainsi de 1,65 Volts à 1,10 Volts. Ainsi, si jouer un film DVD ne nécessite qu’une fréquence de 333 à 400 MHz et un voltage de 1,2 à 1,4 Volts, il s’ajuste en temps réel, diminuant du même coup ses besoins énergétiques de 25 à 41%. Une conséquence directe de la technologie »LongRun » est l’augmentation de l’autonomie de la batterie.
Fait amusant, Intel vient tout juste d’annonce les processeurs mobiles Pentium III cadencés à 600 et 650 MHz, coûtant respectivement 637$ et 423$ (US) et utilisant la nouvelle technologie »SpeedStep ». Cette technologie permet curieusement aux processeurs de fonctionner à deux fréquences différentes… Par exemple, le mode »performance maximum » du processeur mobile Pentium III cadencé 650 MHz utilisera 1,6 Volts et 9,1 watts (Active Power) ou 14 watts (Thermal Design Power). Lorsqu’il basculera au mode »pile optimisé » sa cadence diminuera à 500 MHz, il utilisera 1,35 volts et 5,1 watts (Active Power) ou 7,9 watts (Thermal Design Power). Une technologie qui semble ridicule étant donné que l’utilisateur devra manuellement changer le mode énergétique! Bien que le passage d’un mode à l’autre s’effectue sans un redémarrage du système, est-ce que les utilisateurs souhaiteront réellement se poser constamment les questions suivante: »Est-ce que je passe en mode pile optimisé quand je rédige une lettre? », »Est-ce que je reste en mode performance maximum si je veux visionner un film DVD? » et ainsi de suite. Bien sûr, si vous utilisez votre ordinateur portable que pour du travail de bureautique, nécessitant une consommation énergétique moindre, vous travaillerez toujours en mode »pile optimisé »…mais dans ce cas, pourquoi payer le gros prix pour un ordinateur portable doté d’un Pentium III 650 MHz si on l’utilise toujours à une fréquence de 500 MHz? Décidément, si la technologie »SpeedStep » est la réplique d’Intel à Transmeta, je serai le premier à m’acheter des actions de Transmeta! Petite mise en garde cependant: toujours selon Doug Laird, le processeur TM5400 cadencé à 667 MHz sera aussi performant que le Pentium III cadencé à 500 MHz…il ne sera donc pas toujours possible de comparer des processeurs de cadence équivalente (à une certaine époque ce genre de comparaison était aussi difficile entre des processeurs d’Intel et de Cyrix). En terminant, ceux qui croient qu’Intel pourrait poursuivre Transmeta pour avoir lancé un processeur compatible x86 se trompent car les brevets d’Intel s’appliquent aux matériel et non aux logiciels…
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour publier un commentaire.