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Jordan Mechner, Prince of Persia 3D

De nos jours, plusieurs dizaines d'artistes et de programmeurs participent au développement d'un jeu vidéo. Mais dans les années 1980, tout le travail ou presque était effectué par une seule personne. Jordan Mechner était l'une de ses personnes. Nous l'avons rencontré au Electronic Entertainment Expo, qui s'est déroulé à Los Angeles du 12 au 15 mai 1999.

MZ: Son premier jeu, Karateka, combinant action et aventure et se déroulant dans le Japon féodal, établit plusieurs normes de conception inédites jusqu'alors dans les jeux vidéos. Édité en 1984, le jeu s'est vendu à plus de 500 000 exemplaires. Quelques années plus tard, Prince of Persia vu le jour, fruit d'un travail familial puisque Jordan Mechner a développé l'histoire, les personnages et les niveaux, en plus de programmer le jeu et de dessiner les graphiques. Son père a composé la musique originale et son frère a servi de modèle pour l'étude des mouvements du prince. Prince of Persia s'est vendu à 2 millions d'exemplaires et a pavé la voie à une suite tout aussi réussie. Que s'est-il passé ensuite?

JM: Après avoir réalisé Prince of Persia 1&2, je souhaitais relever de nouveaux défis. Je voulais concevoir un jeu qui n'intéresserait pas que les joueurs confirmés, qui rejoindrait les gens qui jouent peu ou pas du tout aux jeux comme ma mère. Ce jeu devait reposer sur une histoire intriguante, alors j'ai choisi de mettre en scène la dernière journée de l'Orient Express. La conception visuelle du jeu découle de ce scénario.

MZ: The Last Express innovait d'un point de vue technique, les graphismes du jeu, à mi-chemin entre l'animation dessinée et la projection de diapositives, donnaient une ambiance unique au jeu. Les expressions et mouvements des personnages stylisés et recolorés se succédaient lentment avec une image tramée intermédiaire. The Last Express se démarquait encore par une recherche intéressante de réalisme dans les événements simples. Il arrivait, par exemple, d'avoir une conversation en tentant d'en écouter une autre dans son dos! Le jeu a été encenssé par la critique mais n'a pas connu un succès commercial conséquent. Jordan Mechner s'est alors désintéressé des jeux vidéos pour se consacrer au cinéma. The Last Express est d'ailleurs entrain d'être adapté pour le grand écran...pendant ce temps, Andrew Pedersen rêvait de ramener le Prince. Comment en est-il venu à travailler avec Jordan Mechner?

AP: Le projet a débuté en 1996, nous étions entrain d'analyser dans quelle direction se dirigeait l'industrie en matière de technologie. Suite à la prolifération d'accélérateurs 3D et de processeurs toujours plus rapides, nous avons réalisé que nous pouvions rendre justice à la série Prince of Persia. Les nouvelles technologies de design et d'animation le permettaient. C'est alors que j'ai contacté Jordan Mechner pour lui dire que nous devions faire Prince of Persia 3D. Il m'a dit qu'il était occupé à terminer The Last Express mais qu'il serait enchanté d'agir à titre de consultant sur le projet. C'est ainsi que tout a débuté.

MZ: De nombreux testeurs et rédacteurs ont déclaré que Prince of Persia avait servi de modèle 2D à Tomb Raider, le plus gros succès de l'année 1996. Ce n'est donc pas surprenant que Prince of Persia effectue un retour dix ans après, enrichi des nouvelles technologies de 3D et d'animation. Comment Andrew Pedersen a-t-il approché la conception de Prince of Persia 3D?

AP: Nous voulions reprendre tous les éléments qui ont fait le succès des premiers Prince of Persia et les intégrer dans un environnement 3D, parmi lesquels une animation fluide, un scénario s'inscrivant dans la tradition des Mille et Une Nuits, une combinaison d'aventure et d'action, des pièges maléfiques et des énigmes. Plutôt que d'utiliser des technologies de saisie de mouvement, nous avons animé les personnages traditionnellement. Notre cheminement est semblable à celui de Jordan Mechner, nous avons filmé un gymnaste effectuer divers mouvements et les animateurs se sont servis de cette vidéo comme outil de référence afin que le Prince puisse imiter avec finesse les mouvements du corps humain. Ainsi, le Prince interagira dans l'environnement 3D avec plus de réalisme, les technologies de saisie de mouvement s'appliquent plutôt aux environnements 2D. Autre nouveauté, le Prince dispose de plus d'une arme, il peut utiliser une épée, un bâton de combat, une lame à double-tranchant, ainsi qu'un arc et des flèches. Aussi, il y aura davantage de magie puisque le contexte mythologique de la Perse du 12ème siècle s'y prête bien.

MZ: Le Prince évoluera donc dans des palais somptueux, des cavernes labyrinthiques, des ruines mystiques et des forteresses bizarres respectant l'esthétique caractéristique de la culture du Moyen-Orient. Puisque Jordan Mechner lui-même a co-écrit le scénario du jeu, nous lui avons demandé de nous le résumer.

JM: Le scénario découle d'un pacte réalisé entre le père de la Princesse et son frère Assan, qui avaient décidé vingt ans plus tôt que leurs enfants se marieraient lorsqu'ils seraient adultes. Bien entendu, ce n'est pas ce qui est arrivé car la Princesse a épousé le Prince, ce qui a rendu Assan furieux, de même que son fils Rugnor, mi-homme, mi-tigre. Ce dernier kidnappe la Princesse et jette le Prince en prison. Encore une fois, vous devrez sauvez la Princesse.

MZ: Au début du jeu, le prince, désarmé, se trouve dans une cellule sale et humide. Progressivement, il découvre les différents déplacements nécessaires pour s'échapper de sa geôle. Il apprend d'abord à échapper à la vigilance de ses gardiens puis finit par trouver une épée. La conception des niveaux de Prince of Persia 3D est remarquable. Andrew Pedersen nous explique comment il a abordé cet aspect du jeu.

AP: Pour concevoir les niveaux de Prince of Persia 3D, j'ai pris le temps de regarder les jeux que les autres développeurs ont mis en marché. Ce qui me frustrait le plus souvent, c'était qu'on se retrouvait projeté dans des environnements gigantesques et qu'on perdait beaucoup de temps à flâner sans trop savoir quoi faire. Tout ce que cela teste, c'est ma patience et non mes habiletés. Ainsi, nous nous sommes inspirés des premiers Prince of Persia en fixant des objectifs clairs, vous devez atteindre cette porte verrouillée, atteindre le sommet de ce précipice, etc. Le défi est de savoir si vous pouvez compléter le trajet nécessaire pour atteindre cet objectif. Cela permet de tester vos habiletés à diriger le Prince, à combattre des ennemis, à déjouer des pièges et à résoudre des énigmes. Votre patience ne sera pas mise à épreuve.

MZ: L'un des éléments qui avait rendu les deux premiers jeux de la série intéressants résidait dans les différents pièges qui parsemaient les donjons à explorer. En effet, seuls les aventuriers imprudents franchissaient un couloir inconnu en gambadant allègrement sans se soucier de leur vie. Quels pièges attendront les joueurs dans Prince of Persia 3D?

AP: La moitié des pièges proviennent des précédents épisodes, ainsi nous retrouvons les lames de découpage, les piquants, les lames de hachage, les presses, bref des classiques. Parmi les nouveaux pièges nous retrouvons les lames angulaires qui peuvent stopper votre course en vous tranchant les chevilles, ce qui vous fait tomber, puis l'abdomen et enfin la tête. Il y aura également des piquants au plafond, que vous pourriez atteindre en marchant sur une catapulte ou un pilier.

MZ: En terminant, nous avons demandé à Jordan Mechner et à Andrew Pedersen quels étaient selon eux les ingrédients nécessaires pour rendre un jeu d'aventure et d'action intéressant.

AP: Vous devez avant tout connaître vos objectifs. Par exemple, dans un niveau il y a un dirigeable, vous devez vous rendre de la partie inférieure à la salle des machines située en haut. La question est de savoir si vous réussirez. Le jeu ne doit pas vous frustrer. Le jeu doit aussi être équilibré. Le personnage du joueur doit disposer de suffisamment d'énergie pour compléter un niveau et ne doit pas rencontrer des ennemis déraisonnablement puissants. Le niveau de difficulté du jeu doit croître avec justesse. En résumé, il faut marcher sur la mince ligne séparant la frustration de l'excitation, c'est ce que Jordan Mechner a réussi avec ses premiers jeux et c'est ce que nous aspirons faire avec Prince of Persia 3D.

JM: La première chose que je remarque dans un jeu, c'est la conception de son univers. L'environnement et les personnages qui l'habitent doivent être intrigants, car rapidement je décide si j'ai le goût d'entrer dans cet univers. Pour la majorité des jeux sur le marché, la réponse est non pour moi, je suis sans doute difficile. Une fois qu'un jeu a attiré mon attention, je m'attends à ce que le scénario soit intéressant, il peut être simple, mais il doit attiser ma curiosité. Les énigmes doivent être justes, le jeu doit équilibrer gratification et frustration.

MZ: Merci bien messieurs!

JM et AP: Vous êtes le bienvenu.